ça y est, sa tête a trouvé où se poser

1.

ça y est, sa tête a trouvé où se poser. Eva étend comme elle le peut ses bras, pour soulager la raideur de sa nuque. Encore un peu de ténacité et le plaisir sera là. Il suffit que le poids de son corps fasse son travail, qu’il la fasse vaciller vers l’arrière, là où tout peut se briser mais aussi là où c’est le meilleur. Ça ne vient pas encore, c’est son bassin; rien ne sert d’insister, c’est dans sa tête elle bloque tout. Pourtant le travail répété et obstiné des petites oscillations l’invitent à céder. En vain. Il continue. Elle essaye d’ouvrir toutes les petites fenêtres, celles de sa peau aussi, l’une après l’autre, toutes celles qui résistent, de faire entrer la lumière. La bouche et le sexe s’ouvrent ensemble, ça ne loupe jamais. C’est sa langue qui sera peut-être la clé des champs. Son cœur bat jusque dans sa tête posée sur le tapis. Comme un métronome il envoie des pulsations régulières et sourdes dans sa gorge, chavirée en arrière. L’inconfort a disparu, elle est prête. Une goutte de sueur roule dans son cou et s’écrase. Dans l’état d’affut où elle se trouve, Eva croit l’entendre. Puis une autre. Peut-être devient-elle liquide, à l’intérieur, sous l’arc archi tendu de sa surface. Une goutte chaude glisse jusque dans sa bouche. Un filet d’air entre par le hublot grand ouvert. Il la crispe. Elle y était pourtant. Alors elle ferme les yeux, c’est plus facile pour faire le vide et tout sentir. Elle préfère de toute façon fermer les yeux, plutôt que de vérifier la posture, elle l’ajustera de l’intérieur comme à son habitude. Quand sa tête versée en arrière, vers où l’on ne voit pas, a rejoint le dur, il n’y a qu’à se livrer au plaisir de laisser crépiter et d’ouvrir la face avant, la face diurne, celle qui voit et reçoit sans cesse le monde. C’est toujours pareil, le corps dit d’abord non, ça tire, les ligaments refusent, se raidissent, contraires, réfractaires. Puis le poids, le souffle les font céder, et ce qui tirait, disait non, va s’ouvrir, accueillir l’écart à l’intérieur, dire oui avec un plaisir vif, inattendu, puis en demander encore davantage. Le plus difficile, et le plus agréable, c’est toujours le bassin, bien arrimé sur ses cuisses rondes, avec toutes ses attaches, ses tissus cachés, ses planchers en cascade et ses détentes profondes, alors elle pense au fil de la marionnette. Il faut savoir le tirer délicatement, et le petit quelque chose se déclenche, suave, lent. Un courant fragile qui remonte jusqu’en haut quand elle a vaincu toutes les résistances, il n’est pas loin.

(incipit d’un roman en travail)

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