Tempo “vivace”

 « Tempo vivace ». Ils ont tenu ce tempo endiablé pas seulement 14 secondes mais 40 minutes. Sans jamais faiblir, sans jamais fléchir. Jamais moins de 130 battements par minute. Ce duo infernal me poursuit. Leur mécanique parfaite. Leur détermination folle. La rapidité et la précision de leurs gestes. Comment est-ce possible ?

 L’énergie engendre l’énergie, le corps exulte dans le mouvement, mais quand les muscles fatiguent, quand le mouvement proposé est hyper répétitif, quand le geste est chronométré et que la musique et la montre avancent, il n’y a qu’une possibilité pour que le mouvement ne s’éteigne pas, c’est de s’en laisser traverser. Sur le plateau on ressent cette dépossession progressive des corps par le mouvement. De ces corps qui deviennent la pulsation. Quand ils n’ont plus la force mais qu’il faut continuer, les deux danseurs vont chercher ailleurs, en dehors d’eux. Et cet ailleurs, c’est le sol qu’ils frappent de leurs pieds pour trouver de la puissance, qu’ils repoussent avec leurs jambes pour rester debout, c’est le corps de l’autre qui permet de structurer l’espace autour d’eux et de ne pas perdre le fil, c’est l’espace lui-même dans lequel ils de diluent, et c’est le rythme pur de la musique qui bat la pulsation, une battue que rien n’arrête.

Cette pièce réveille dans la spectatrice que je suis des choses très ambivalentes. Sa vitalité exceptionnelle me parle, me séduit. On sent le corps et le mental des deux danseurs sur scène s’accrocher de toutes leurs forces pour ne pas perdre le fil, pour chevaucher l’énergie qui les traverse et la décupler. C’est un modèle extraordinaire pour l’action. Il y a une détermination hors du commun dans cette pièce, dans le corps des deux danseurs, dans leurs visages, dans leur lien. J’ai d’abord pensé que cette pièce me disait que toujours il fallait aller au bout, suivre la pulsation, quoi qu’il en coûte. Pourtant, forte de cette leçon que je me donnais à moi-même, ces images ont continué à me poursuivre, la pulsation folle, la violence de la répétition, l’impossibilité d’arrêter la machine.

En fait, cette danse ressemble à un combat, à une lutte à mort. Ces deux corps qui ne peuvent pas faire autrement que de revenir l’un vers l’autre. Et qui, quand ils sont en présence l’un de l’autre, reprennent leur mécanique, leur petit jeu d’attraction-répulsion. Toujours dans le même cercle. Jamais loin l’un de l’autre. Jamais l’un avec l’autre. Se connaissent-ils vraiment ? Mon vertige s’accroit. La pulsation les fait tourner ensemble, sans répit et pour toujours, mais à vide. Qui sont-ils ? Pourquoi suis-je happée entièrement ? Peut-être est-ce le plaisir trop grand que j’éprouve à les regarder danser qui me trouble, et la pulsation irrésistible. Pourtant quelque chose se joue. Je vois maintenant deux jumeaux qui s’empêchent de vivre ou deux amants qui se cadenassent l’un l’autre. Enfin je comprends. La pulsation inarrêtable est là pour rejouer la mécanique de leur duo qui les enferme et les contraint. Leur vitalité magnifique s’épuise dans cette lutte toujours renouvelée. Sans s’éteindre jamais. Elle ne crée rien si ce n’est un éternel recommencement. Ce duo gémellaire, la mécanique du deux est vouée à la répétition.

Ils vont y mettre toute leur sève, tout leur jus, jusqu’à la dernière goutte, sans savoir pourquoi, incapables de faire autrement, poussés à persévérer à-la-vie-à-la-mort dans leur être-à-deux. Je voudrais les arrêter, leur crier d’arrêter. Et pourtant la pulsation continue de battre, je continue de les regarder et je voudrais maintenant qu’ils ne s’arrêtent plus.

 

Sur le plateau : Vivace, création de Alban Richard (CCN de Caen), avec Anthony Barreri et Yannick Hugron.

 Vous pouvez voir le teaser du spectacle ici :

Ainsi que la discussion avec le chorégraphe Alban Richard, après la création à Avranches le 17 mars 2018, en cliquant ici.  

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