La moleskine de la chaise transpirait avec elle
La moleskine de la chaise transpirait avec elle. Sa peau humide collait au débardeur et au short qu’elle avait enfilés. Ses doigts laissaient leur empreinte sur les feuilles de cours posées devant elle. Eva lâcha son crayon, la douleur dans son poignet remontait jusqu’à l’épaule. À la radio dont le son lui parvenait depuis la cuisine, le bulletin météo tournait en boucle. Les maximales ont à nouveau dépassé la barre des 35°C à Colmar, Lyon, Grenoble, Toulouse... un nouvel épisode de forte chaleur s'est abattu sur l'Héxagone, similaire à celui que le pays a connu au début du mois... On annonçait le flash info de 18h, c'était l'heure de sa dose.
comment (ne pas) devenir soi-même
L’autre jour, ma prof de tango me lance : « Hey, on fait pas du yoga ici, mais du tango, relie-toi à l’espace autour de toi, à l’autre qui danse avec toi ! ». Elle arrête la danse et nous montre « la bonne attitude » : le plexus ouvert, les épaules roulées en arrière, le regard conquérant. Elle poursuit : « on n’est pas ici pour cultiver son petit espace intérieur, pour trouver son centre, l’installer bien en sécurité. Il faut sortir de sa bulle, allez ouvrez-vous au dehors ! ». Elle ne peut pas savoir, à ce moment-là, à quel point je suis d’accord avec elle.
Le frisson d’Isaac Newton
- Dis-moi, pourquoi montes-tu en Sirsasana, mis à part pour poster ta photo sur Instagram s’il te plait ? - Mais, pour être traversée par F (A/B) évidemment ! - Pardon ? - La loi de la gravitation universelle tu sais bien. Ce qui me rend curieuse dans Sirsasana, c’est le jeu qu’on y joue avec la force de gravité, ou pour le dire mieux, le dialogue qu’on initie avec rien de moins que la loi de la gravitation universelle. Cette dernière cesse d'être seulement une relation bien posée pour devenir quelque chose dont on fait une expérience très directe et très physique.
Le secret de Marie-Henriette Le Win née Pautard
Je ne m’arrête pas tout de suite mais quelque chose me frappe quand je passe devant cette tombe, à quelques pas de celle d’Oscar Wilde, perdue dans l’anonymat de celles que personne ne vient admirer, même un 1er novembre pourtant ensoleillé. Je fais marche arrière, et je la regarde. Comme elle est belle. Très blanche, presque vivante, sans la moindre trace de mousse, prenant pour elle tout le soleil alentour. Son dos inondé de lumière s’étire, allongeant ses courbes pleines et harmonieuses. La jeune femme a replié ses mains sous son visage et sous ses joues encore rondes, comme pour atténuer la raideur de la pierre sur laquelle elle est couchée.
Tempo “vivace”
« Tempo vivace », ils ont tenu ce tempo endiablé pas seulement sur 14 secondes mais sur 40 minutes. Sans jamais faiblir, sans jamais fléchir. Jamais moins de 130 battements par minute. Ce duo infernal me poursuit. Leur mécanique parfaite. Leur détermination folle. La rapidité et la précision de leurs gestes. Comment est-ce possible ?
ça y est, sa tête a trouvé où se poser
ça y est, sa tête a trouvé où se poser. Eva étend comme elle le peut ses bras, pour soulager la raideur de sa nuque. Encore un peu de ténacité et le plaisir sera là. Il suffit que le poids de son corps fasse son travail, qu’il la fasse vaciller vers l’arrière, là où tout peut se briser mais aussi là où c’est le meilleur. Ça ne vient pas encore, c’est son bassin; rien ne sert d’insister, c’est dans sa tête elle bloque tout. Pourtant le travail répété et obstiné des petites oscillations l’invitent à céder.
Parighasana
Parighasana, la posture par laquelle on franchit une porte. Cette asana porte bien son nom (parigha, « franchir la porte d’entrée »). Quand je la prends, j’ai toujours cette sensation de franchir une porte, de passer de l'autre côté.
Corpoétique
Le corps est au commencement / Puis vient le souffle, le mouvement, l’écart, le jeu, / parfois la danse. / Il parle et personne ne l’entend
Amis danseurs
Cessez de répéter / Suspendez / Et ouvrez une porte / Inspirez davantage. / À chaque fois, / le bras / la jambe / une et deux / on soulève / on tourne / on redescend / on recommence.
Alors je sourirai
Il est meurtri /le corps du danseur /et j'en pleurs / et j'enrage /pour le plaisir fugace / de celui qui regarde / puis passe / il s'auto démolit. / Il se tord, se secoue, / en donne tant qu'il peut, / toujours plus, / l'éclat, le brio, la vitesse, /il se plie, tombe plus fort, / on applaudit. / Ce divertimento m'assomme.
Roland Barthes, je suis celui qui attend.
"ATTENTE. Suis-je amoureux? - Oui, puisque j'attends. L'autre, lui, n'attend jamais. Parfois, je veux jouer à celui qui n'attend pas; j'essaye de m'occuper ailleurs, d'arriver en retard; mais, à ce jeu, je perds toujours: quoi que je fasse, je me retrouve désoeuvré, exact, voire en avance. L'identité fatale de l'amoureux n'est rien d'autre que : je suis celui qui attend".